La CHEVRE de Mr SEGUIN .

 

Version Plagia : Revue et corrigée car adaptée à notre Actualité .

 

Les lettres de mon Cabanon

 

A Mr Lucien SOULIE Jardinier de l’Impossible Conception .

 

Tu seras bien toujours le même mon pauvre Lucien .

 

Comment ! On t’offre une place de Correcteur auprès de l’éternel et tu as l’aplomb de refuser .

 

Mais regarde toi malheureux bambin , regarde , tes sandalettes usées et tes bottillons avachis  , tes shorts élimés , cette face maigre de végétarien qui crie la « Fin »

Voilà ou t’as conduit cette passion des belles Courtilières ! Voilà ce que t’on valu 10 ans de bons et loyaux services , au service des écrits de Sire la Provoc  .

 

Tu n’a pas honte à la « Faim » ?

 

Fais-toi donc Jardinier , imbécile ! Fais-toi Jardinier ! Tu gagneras de beaux à la ronde , tu auras ton couvert en plastic aux resto du cœur , tu pourra te pavaner les jours de première avec une nouvelle emblème à ta barrette .

Non ? Tu ne veux pas ? ……….Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout ….

 

Eh bien écoute un peu l’histoire de la Chèvre de Monsieur LEONARDIN .

 

Tu verra ce que l’on gagne à vouloir vivre libre .

 

De puis toujours Monsieur LEONARDIN n ‘avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres .

Il les perdait toutes de la même façon : Un beau matin , elles cassaient leur corde , s’en allaient dans la montagne , et la haut le Loup les mangeait .

Ni les Caresses de leur Maître, ni la peur du Loup , rien ne les retenait . C’était paraît il des chèvres indépendantes , voulant à tout prix le grand air et la liberté .

 

Le brave M. LEONARDIN , qui ne comprenait rien au caractère de ses protégées, était consterné. Il disait :
-C'est fini ; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une.
Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en accepta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât à demeurer chez lui.
Ah ! Lucien , qu'elle était jolie la petite chèvre de M. LEONARDIN ! qu'elle était jolie avec ses yeux noirs et doux, sa frimousse d’ange , ses sabots agiles et luisants, les cornes des cocus , son épaisse chevelure d’ébène qui lui faisait une houppelande ! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, tu te rappelles, Lucien ? - et puis, docile, caressante, se laissant apprivoiser sans renâcler , sans mettre son pied dans l'écuelle.

Un amour de petite chèvre...

M. LEONARDIN avait , attenant à sa maison un studio entouré de « Si Près » C'est là qu'il mit la nouvelle pensionnaire.
Il se garda de l’attacher à un pieu , au plus bel endroit de la propriété , en ayant soin de lui laisser beaucoup de liberté , et de temps en temps, il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et savourait le bonheur de ce nouveau lieu de si bon cœur que M. LEONARDIN  était ravi.
- Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi !
M. LEONARDIN se trompait, sa chèvre s'ennuya.


Un jour, elle se dit en regardant la montagne :

- Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite convention qui vous met la corde au cou !... C'est bon pour Jérôme ou Nicolas de brouter dans un clos !...

Les chèvres, il leur faut du large. .

À partir de ce moment, la pitance du clos lui parut fade.
l'ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tout le jour , la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mê.!... tristement.

M. LEONARDIN s'apercevait bien que la chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme ils achevaient une besogne commune , la chèvre se retourna et lui dit dans son patois :
- Écoutez, monsieur LEONARDIN , je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.
- Ah ! mon Dieu !... Elle aussi ! cria M. LEONARDIN  stupéfait, et du coup il laissa tomber son stylo ; puis, déplaçant son fauteuil roulant en sa direction
- Comment, Brunette , tu veux me quitter !
Et Brunette  répondit :
- Oui, monsieur LEONARDIN .
- Est-ce que Le travail te manque ici ?
- Oh ! non ! monsieur LEONARDIN .
- Tu es peut-être trop isolée , veux-tu de la compagnie  ?
- Ce n'est pas la peine, monsieur LEONARDIN .
- Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? qu'est-ce que tu veux ?
- Je veux aller dans la montagne, monsieur LEONARDIN .
- Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ?...
- Je lui donnerai des coups de tête , monsieur LEONARDIN .
- Le loup se moque bien de tes coups de tête . Il m'a mangé des biques autrement entêtées que toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Tartine Mariole qui était ici depuis plus de 30 ans ,  une maîtresse femme , forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis, le matin, le loup l'a mangée.
- Pécaïre ! Pauvre Tartine Mariole !... Ça ne fait rien, monsieur LEONARDIN , laissez-moi aller dans la montagne.
- Bonté divine !... dit M. LEONARDIN ; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc à ces femelles  ? Encore une que le loup va me manger... Eh bien, non... je te sauverai malgré toi, coquine ! et de peur que tu ne saute le portail , je vais t'enfermer dans le studio et tu y resteras toujours.
Là-dessus, M. LEONARDIN emporta sa protégée dans le studio tout noir , dont il ferma la porte à double tour.
Malheureusement, il avait oublié la fenêtre et à peine eut il tourné le dos , que la petite s'en alla...Tu ris, Lucien  ? Parbleu ! je crois bien ; tu es du parti des protégés  , toi, contre ce bon M. LEONARDIN ... Nous allons voir si tu riras tout à l'heure.
Quand la Brunette arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête.
Tu penses, Lucien  si notre petite protégée était heureuse !
Plus de clôture , plus de contraintes d’horaire ... rien qui l'empêchât de gambader, de butiner à sa guise... C'est là qu'il y en avait du bonheur ! jusque par-dessus la tête , mon cher!... Et quel bonheur ! Savoureux , fait  de mille plantes... C'était bien autre chose que la tambouille du proprio . Et les fleurs donc !... De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !...
La Brunette , complètement soûle, se vautrait là-dedans pour des parties de jambes en l'air , elle roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes... Puis, tout à coup elle se redressait d'un bond sur ses jambes longilignes . Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt  sur un pic, tantôt au fond d'un ravin, là haut, en bas, partout... On aurait dit qu'il y avait dix Brunettes  de M. LEONARDIN dans la montagne.

C'est qu'elle n'avait peur de rien la Brunette .

Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient au passage de poussière humide et d'écume.
Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque couches et se faisait sécher par le soleil... Une fois, s'avançant au bord d'un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. LEONARDIN avec le studio .

 Cela la fit rire aux larmes

. - Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ?
Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde...
En somme, ce fut une bonne journée pour la petite protégée de M. LEONARDIN . Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une rêve partie en train de croquer du sikh à belles dents. Notre petite coureuse en robe brune  fit sensation. On lui donna la meilleure part , et tous ces messieurs furent très galants... Il paraît même, - ceci doit rester entre nous, Lucien , - qu'un Vieux chamois décatis à pelage grisonnant , eut la bonne fortune de plaire à Brunette . Les deux amoureux s'égarèrent parmi les HLM durant de longues journées , et si tu veux savoir ce qu'ils se dirent, va le demander aux sources bavardes des mauvaises langues qui courent invisibles dans la mousse.
Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir.
- Déjà ! dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée.
En bas, les champs étaient noyés de brume. Le Studio de M. LEONARDIN disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les sornettes du  troupeau de drogués qui rentrait au bercail , et se sentit l'âme toute triste...

Un vrai faux , qui rentrait, lui passa une pogne au derche . Elle tressaillit...
puis ce fut un hurlement dans la montagne :
- Hou ! hou !
Elle pensa au loup ; de tout le jour la fofole n'y avait pas pensé... Au même moment un coup de téléphone aux flics résonna bien loin dans la vallée.

C'était ce trop bon et trop con de M. LEONARDIN  qui tentait un dernier effort.
- Hou ! hou !... faisait le loup.
- Réfléchi ! réfléchi  !... lui disait le corps expéditionnaire .
Brunette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le studio , la pitance , la haie de

« si près » , elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester.
La liaison fut coupée .
Brunette entendit derrière elle un bruit de feuilles.
Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient...


C'était le loup.


Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant l’ex petite protégée et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.
- Ah ! ha ! la petite Brunette de M. LEONARDIN ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou.
Brunette se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Tartine Mariole , qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite , puis , s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et le front  en avant, comme une brave Brunette de

M. LEONARDIN qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, les chèvres ne tuent pas le loup, - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la vieille Tartine Mariole ...
Alors le monstre s'avança, et ses petites intentions entrèrent dans la danse.
Ah ! la brave Brunette , comme elle y allait de bon cœur! Plus de dix fois, je ne mens pas, Lucien , elle demanda au loup de reprendre haleine. Pendant ces trêves de quelques minutes , la gourmande cueillait en hâte encore un brin de fantaisie  ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine...Oh !!!!  Cela dura toute la nuit. De temps en temps la Brunette  de M. LEONARDin  regardait les étoiles danser dans le ciel clair et elle se disait :
- Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube . pour attendre le suivant
L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Brunette redoubla de coups de ?????? , le loup de coups de ?????? ...
Une lueur pâle parut dans l'horizon... Le chant du coq enroué monta d'une métairie.
- Enfin ! dit la pauvre Brunette , qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure toute tachée de sang...
Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.
Adieu, Lucien  !
l'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu LEONARDIN, que se battégue tonto la neui erré lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé 1.

Tu m'entends bien, Lucien .

1. La chèvre de monsieur LEONARDIN, qui se battit toute la nuit, et puis le matin, le loup la mangea.